Normandie : terre-de-nos-mères

Normandie : terre-de-nos-mères

Madame Adeline

Madame Adeline

 

Dans mon enfance, nous allions chercher du lait avec une channe, directement à la ferme, chez Madame Adeline.

Il fallait monter la route de Pont Audemer (actuellement rue Louis Gillain) depuis le maison de ma grand-mère puis en haut tourner à droite. On arrivait au moment de la traite, à la main, bien sûr, nous sommes dans les années 1955. J'y allais avec Paulette, ma deuxième mère, c'était une bonne promenade pour moi, mais pour elle sans doute une obligation pénible par tous les temps. De la côte saint Michel, mes cousins Herquelle y allaient aussi, pour eux, c'était tout droit.

Dans mon souvenir, assez flou, nous arrivions dans l'étable et Madame Adeline nous remplissait la channe, après quelques échanges de nouvelles, nous repartions sans payer ! Ma grand-mère devait régler chaque semaine ou chaque mois. On me proposait souvent un bol de lait chaud, tout droit sorti du pis de la vache ; par politesse j'acceptais, je buvais une gorgée et je donnais le reste à Paulette car je n'aimais pas le lait. J'étais peut-être aussi intolérante au lait, puisqu'à ma naissance, le médecin me l'avait interdit et j'ai été nourrie de bananes écrasées avec du sucre et de soupe de légumes bien plus tôt que les autres nourrissons.

Mais la politesse normande veut qu'on ne refuse jamais ce qui vous est proposé lors d'une visite : café, calva ou cidre pour les adultes ; lait, sirop ou eau rougie (eau colorée d'un soupçon de vin). Demander un simple verre d'eau est d'une impolitesse rare, cette demande laisse supposer que vous considérez vos hôtes comme des gens pauvres...

 

Revenons à Madame Adeline déjà âgée à l'époque, ou le paraissant à mes yeux d'enfant, mais très active, volubile et chaleureuse. Une paysanne normande sans rien qui pût la signaler à son visiteur comme quelqu'un d'exceptionnel... Et pourtant, c'était une héroïne de la Seconde Guerre mondiale : elle avait caché, nourri et soigné des dizaines de soldats (parachutistes?) et d'aviateurs alliés, de toutes nationalités, dans son grenier et sa grange dans le foin et la paille.

Les Allemands sont venus plusieurs fois chez elle et sa fille m'a raconté (plus tard) qu'ils sont venus un jour où elle ne cachait pas moins de 15 soldats alliés (était-ce une dénonciation?), la moindre fouille de la ferme et elle était perdue ! Comment a-t-elle réussi à endormir les soupçons des occupants, je ne sais pas mais elle devait avoir un certain aplomb et un flegme tout britannique !

 

J'ai rencontré sa fille Marie Louise, bien des années plus tard durant les vacances. Je vivais alors en Nouvelle Calédonie et un des enfants de Marie Louise était aussi dans le Pacifique, je crois que cela m'a fourni le prétexte pour cette rencontre. A cette occasion, après les cartes postales de Polynésie, elle m'a montré les décorations que sa mère avait reçu : rien moins que la Victoria Cross et des décorations américaines et Nèo-Zélandaise (ou Australienne). De nombreux soldats qu'elle avait caché, avaient survécu et témoigné de sa bravoure ; sa fille avait encore des dizaines de lettre de remerciements ! Ce n'est tout de même pas banal d'aller chercher son lait chez une Résistante si décorée !!


26/03/2023
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6 Juin 1944 à Caen

 

Le D Day, bien sûr, et ma mère Eliane Lefèvre devait passer ce jour là son diplôme d'ingénieur chimiste...à l'aube et à Caen !

Comme à son habitude, elle avait révisé et veillé très tard dans la nuit, angoissée par le spectre d'un possible échec . Elle s'était donc endormie peu avant l'aube. Consciente de ses manies, elle avait demandé à son ami d'enfance, Jean Nicolle de venir la réveiller par sécurité.

Elle ne savait pas que Jean faisait partie de la Résistance et qu'il savait que le Débarquement aurait lieu : « berce mon âme d'une langueur monotone » sur Radio Londres avait donné le signal.

Donc, au point du jour le bombardement de Caen commença, sans réveiller ma mère dans son premier sommeil, il faut dire que les raids aériens se multipliaient en cette année 44 et que les jeunes en avaient même fait une chanson à la mode sur l'air de "auprès de ma blonde " :

« Ici mes chers Tommies

Vous êtes nos amis

Nous avons le ferme espoir

de bientôt vous revoir

refrain

Au bruit de vos bombes

qu'il fait bon fait bon fait bon

Au bruit de vos bombes

Qu'il fait bon dormir ! »

 

Et c'est précisément ce que faisait ma mère lorsque Jean la tira du lit en lui laissant tout juste le temps de s'habiller avant de l'entraîner dans l'escalier encore à moitié endormie. Zut, elle avait oublié ses papiers pour l'examen et peut-être aussi ses médicaments (elle souffrait alors d'une ulcération d'estomac et prenait des médocs à base de morphine pour calmer la douleur). Elle voulut remonter à sa chambre mais Jean lui assura que l'exam n'aurait pas lieu et l'obligea à descendre...A ce moment le haut de l'escalier fut pulvérisé par une bombe !!!

 

Il fallut se rendre à l'évidence : il se passait un événement capital, ils allaient vivre « le Jour le plus long » : D Day, le Débarquement tant espéré !

Seulement Caen fut bombardée, dévastée, ruinée en quelques heures

 

CPA Caen

 

Il fallait fuir en essayant de rester en vie. Jean devait rester mais la bande de copains de la fac se regroupa (où?) : Binot, son amoureux, un Manchot originaire de Valognes je crois ; René Degand, un Belge (attention un Wallon !, il m'a accueilli si gentiment en Wallonie dans ma jeunesse) , lui était l'ami de cœur, le plus « vieux » de la bande ; Caniche dont je ne sais presque rien.

 

Tous avaient des surnoms comme « dans mon temps : Jean-Max dit Maxou, Sylviane, la Z, Françoise Famfy et moi Cathou pour la Betty parme et Katiouschka pour Maxou et la Z.

Alors, il est difficile de s'y retrouver dans les récits de ma mère, elle employait surtout les surnoms !

 

Bref, une bande de bons copains à laquelle on peut se fier dans situations difficiles, et là, c'en était une : il fallait sortir de Caen le plus vite possible et indemne mais où aller ? S'éloigner des combats, c'était une évidence mais où étaient les Allemands ? Beaucoup de gens se dirigèrent vers une zone dégagée à la périphérie « la Prairie » mais elle fut bombardée. La côte normande est bien sûr, le point le plus dangereux, donc il reste la Manche et l'Eure (Ouest ou Est). Plus de Manchots dans la bande, ils partirent donc dans cette direction et puis la mentalité de l'époque acceptait mieux qu'un garçon amène des copains chez lui qu'une fille ; je vois mal mes grands-parents ravis de recevoir la bande copains de leur fille même en des circonstances dramatiques et pourtant l'Eure est encore loin des combats. Cette décision fut longtemps reprochée à ma mère par ses parents ; sans communication possible, ils ont dû vivre des moments d'angoisse pour leur fille !!

D'abord quitter Caen ! Et vite ! Ma mère m'a raconté qu'ils ont rencontré, dans leur fuite, une femme hurlant « tirez-moi de là ! Je suis coincée sous les décombres ! » Ils l'ont « aidée » et tirée mais ses jambes avaient été sectionnées, elle est morte dans leurs bras! Cette vision hantait encore ma mère des décennies après, comme le comble de l'horreur...

 

Après des km à pied sans vivres et sans abri, ils arrivent à rejoindre Valognes, mais là aussi les combats se rapprochent, le Nord de la Normandie est sous le feu ! Maman et René décident de repartir vers l'Eure toujours dans des conditions dangereuses et sous de possibles bombardements .

 

Ils arrivent indemnes à Bernay et sont hébergés par mes grands-parents.

La maladie d'estomac de ma mère avait disparu même sans antidouleur, est-ce l'effet bénéfique de la marche, ou l'effet psychologique d'un péril bien plus grand ?

 

René Degand regagna sa chère Wallonie dès qu'il le put mais il resta en contact avec notre famille et avec ma mère surtout ; je crois qu'il fut invité au mariage de Lily et Jacques et à mon baptême. Je lui rendis visite une fois en Belgique, je devais avoir 20 ans, comme cadeau de bienvenue, sachant que je préparais une maîtrise de Lettres, il m'offrit un Grévisse (le sien peut-être) c'est à dire la Bible de la Grammaire Française

Maman m'avait chargé de lui soutirer l'adresse de Binot, au détour d'une conversation mais il fut ferme : tous deux étaient mariés et avaient des enfants, à quoi servirait de se rencontrer à nouveau si ce n'est mettre deux couples en danger...

 

Maman s'était sortie d'affaire en 1944 mais elle n'était pas ingénieur et elle ne le fut jamais ! Ses parents lui demandèrent de trouver du travail comme simple chimiste comme si elle était responsable de la date du D Day !! Elle avait tout de même une excuse en béton ou plutôt en acier pour ne pas avoir présenté son exam. Une année de plus, ce n'était pas la mer à boire ni la ruine pour les Lefèvre!!! Bon, je n'ai pas à juger mes ancêtres...

Elle trouva donc un emploi de chimiste dans une huilerie à Dreux, or, dans la même usine travaillait un ingénieur des Arts et métiers (un gars d'z arts) Charles Jacques Moraux-Hocry récemment revenu des pires offlags nazis et ayant fait la terrible marche de Pologne...

Il était grand, beau, des yeux bleu clair et maigre encore très maigre (à son retour il ne pesait que 39Kg pour 1m76 et avait été rapatrié en avion sanitaire...)

 

Ce même 6 Juin 1944 à l'aube, le Révérend Harry Treble, pasteur anglican, débarquait sur les plages de Sword et sans armes... il n'avait pour se défendre que sa foi et et une petite croix sur son uniforme ! Il devint plus tard mon oncle ...

cf Dad's Jour J (DDay)


26/03/2023
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la Maison du 12 rue Louis Gillain

 

Je vous propose une visite atypique car mes souvenirs les plus forts s’attachent aux pièces que l’on décrit rarement. J’ai toujours été attirée par les caves, les greniers et les cagibis qui recèlent des secrets, lieux de jeu splendides parce que marqués d’interdits familiaux.

 

Commençons donc par la cave qui s’ouvre à gauche dans la cuisine. Il faut descendre trois (ou 4) marches en béton pour y accéder et ne pas oublier d’allumer la lumière avant de descendre sinon il faut remonter dans le noir! Elle est un peu oppressante, cette cave surtout en période de chasse car on peut s’y heurter à des faisans pendus par les pattes qui attendent que leur chair soit à point pour être cuisinée. Des peaux de lapins ou de lièvres attendent le marchand qui passait encore dans ma tendre enfance pour collecter dans une carriole peaux, plumes et chiffons et s’annonçait par de tonitruants : « peaux d’lapins, peaux !! »

C’était une pièce carrée au sol bétonné (?) le mur de droite et celui du fond était tapissés de casiers à bouteilles en fer où reposait le trésor liquide de Pépé (vins rouges, blancs et rosés, cidre bouché brut ou doux mais aussi champagne, cognac et calvados, apéritifs et liqueurs divers, de quoi tenir un siège sans souffrir de la soif) aux goulots cachetés de cire verte ou rouge. Je ne sais pas si ces variations de couleur correspondaient à un classement chronologique, qualitatif ou étaient le fruit du hasard. Chaque déplacement ramenait son lot de bouteilles aussitôt rangées et inspectées périodiquement. La machine à bouchonner était prête à servir.

Devant le mur de gauche trois (?) fûts ou barriques sans doute pour le cidre et la boisson, cidre du quotidien plus ou moins allongé d’eau. Je me demande s’il n’y avait pas, dans le fond, un tonneau plus petit de calva en train de vieillir. Tout cela demandait de l’entretien car les tonneaux « boivent » et il faut chaque année refaire les niveaux surtout pour le calva.

Pots de confiture, conserves (des boites de sardines surtout que l’on faisait vieillir aussi, l’huile se bonifiant avec l’âge, en les retournant périodiquement) et terrines de pâtés et de harengs ou de maquereaux marinés complétaient les réserves. En cas de pénurie de sardines « vieillies », il était possible de se dépanner chez Hutfer qui disposait d’un stock « à point » dans son arrière-boutique mais bien sûr, la longue période d’affinage les rendaient plus chères.

Les confitures ou plutôt des gelées étaient le résultat des cueillettes du jardin : groseilles, framboises, fraises et cassis, rhubarbe (un pied énorme trônait à chaque angle au fond) et coing.

 

 

La foire de Lieurey vers la Toussaint fournissait tout le nécessaire pour la confection des marinades depuis les terrines, les oignons jusqu’aux poissons eux-mêmes. Réalisées et conservées avec soin, elles étaient destinées à fournir les repas maigres agrémentées de pommes de terre bouillies en temps de carême.

 

Foire de Lieurey CPA 1

 

Cette photo a dû être prise un jour de foire : je ne pense pas que les rues soient aussi animées en temps ordinaire !

 

La morue pouvait leur faire concurrence mais je n’en ai pas vu souvent sur la table de mes grands parents. Faire maigre avec de la sole ou du colin était tout de même plus agréable ! La contrition, la pénitence, oui, mais pas jusqu’au sacrifice.

D’ailleurs Pépé avait un sens tout particulier de la religion : il arrivait à l’église, toujours durant la grand-messe, peu avant ou peu après la communion et repartait à peine 10 minutes plus tard dûment béni et libéré par l’ite missa est, pour acheter le gâteau du Dimanche…

 

La cuisine était le royaume de l’employée de maison où Mémé apparaissait parfois pour « mettre de l’ordre » c’est-à-dire passer une « revue de détail » et réprimander vertement le laisser-aller à cause d’une cuillère à café non lavée dans l’évier.

Cette pièce n’était intéressante qu’en période de confection de confiture ou de galettes. Le reste du temps, elle n’avait pour moi aucun attrait.

Mon seul souvenir de la cuisine « ancienne » est celle d’une glacière qu’il fallait alimenter en gros « pain de glace » mais où les achetait-on ?

La grosse cuisinière en fonte, qui était au fond à droite, a dû survivre à la modernisation de la pièce, elle était alimentée en bois ou en charbon indifféremment, je crois, et fournissait aussi de l’eau chaude, elle permettait aussi de mijoter le pot au feu et de garder le café chaud (et non « bouillu ») si l’on avait soin de placer les récipients sur le côté. Pour éviter les brûlures, elle était protégée par une barre en cuivre qui nécessitait un astiquage quotidien. Nous avions la même au 39 rue Thiers.

La confection des confitures était un grand moment, les petits fruits nécessitaient, après lavage, un équeutage à la fourchette ou à la main pour les framboises puis venait la cuisson dans la bassine en cuivre en « touillant » régulièrement, l’écumage et enfin le pressage. Un grand torchon dont le tissage ne devait être ni trop serré, pour laisser passer le jus, ni trop lâche, pour éviter les graines, souple et sans amidon était l’outil essentiel. On remplissait ce torchon de confiture bouillante et il fallait le tordre en le tenant par les deux extrémités jusqu’à exprimer tout le jus. Il était impossible de le faire sans se brûler mais, pour Mémé, les « bonnes » devaient avoir « les mains dures » ; elle, se gardait bien de participer à la phase de pressage, se contentant de vérifier si le jus avait été complètement exprimé… après la mise en pots et le refroidissement, il fallait faire fondre la paraffine, la couler sur les pots puis fermer d’un papier tenu par un élastique ou d’un couvercle. Les pots rejoignaient alors leur étagère dans la cave.

La rhubarbe et les coings étaient plus pénibles à préparer : il fallait enlever la pellicule fibreuse de la rhubarbe sur toute la longueur de la tige en la décollant avec un couteau pointu.

L’épluchage du coing est une terrible épreuve, je n’ai jamais vu de fruit aussi dur et aussi irrégulier !

De mon côté, je m’employais à faire disparaitre l’écume sur de grandes tartines de pain beurré et je goûtais consciencieusement les restes de gelée!

 

 

La salle à manger, archétype de l’intérieur petit bourgeois cossu du milieu XX° siècle, temple de la vie familiale, saint des saints des repas dominicaux… surchargée de meubles « anciens » au point qu’une fois la famille installée à table, il était impossible de se déplacer ! Celui qui était assis au fond de la pièce se retrouvait : dos, d’un côté à un placard contenant la vaisselle « ordinaire », au milieu une cheminée où trônait l’horloge et de l’autre côté un placard dissimulant le coffre-fort surmonté du poste de radio et ne pouvait quitter la table sans faire se lever une ou plusieurs personnes. Ces deux places étaient celles des grands parents et cela tombait bien puisque ni l’un ni l’autre ne se levait au cours du repas quelle qu’en soit la durée ! En cas de problème ou pour le plat suivant, il suffisait d’appeler la « bonne »…

Un buffet monumental occupait le mur de gauche et contenait la vaisselle de fête et des tonnes d’ustensiles indispensables comme les porte-couteaux en cristal (ou en verre…). Il était capital de tout sortir avant le repas, les portes ne pouvaient pas s’ouvrir sans obliger un participant à se lever!

La table ronde suffisait pour les repas de famille habituels mais il était possible de l’agrandir pour les repas importants…ce qui réduisait à néant l’espace libre de la pièce. Tout un arsenal de nappes indiquaient le degré de solennité du repas.

Ces meubles étaient bien sûr sculptés et cirés régulièrement, les décors du pied de la table et du buffet nécessitaient l’emploi d’une brosse à dents pour que l’ouvrage soit fait correctement…

Les dernières inventions se devaient de meubler la pièce le plus rapidement possible, après plusieurs postes de radio, il fallut trouver une place pour la télé qui détrôna la vis de pressoir surmontée d’une plante verte et rendit difficile l’installation du sapin de Noël. En désespoir de cause, il fut exilé dans le salon où personne ne pouvait le voir mais où, au moins, il ne gênait pas. *

 

En sortant de la salle à manger on arrivait dans l’entrée (ou vestibule) qui n’a jamais joué ce rôle puisque la porte principale était toujours fermée et ne servait, au mieux, que de toile de fond pour les photos.

 

devant la porte 1

 

 

Et quelques années plus tard… devant la porte ! CQFD

 

devant la porte 2

 

Derrière cette porte, un porte manteaux, en face, l’escalier menant aux chambres, à droite, le salon, pièce de réception qui ne servait pratiquement jamais et dans laquelle Pépé se réfugiait pour avoir la paix (il disait pour travailler) et faire la sieste loin des plaintes et récriminations de Marguerite.

 

Pépé dans le salon

 

Ici, les volets de la fenêtre au fond de la pièce avaient dû être ouverts pour la photo car ils restaient, ainsi que ceux de la porte fenêtre sur la droite, la plupart du temps fermés…

Cette pièce se divisait en trois espaces différents, dans le fond on aperçoit le lit cosy qui n’eut que peu d’occupants, la bibliothèque et le bureau de Pépé au centre et à l’entrée : une table basse entourée de fauteuils qui parfois servait pour l’apéritif ou le café.

 

Jeanine

 

Quand nous étions nombreux, c’est-à-dire lorsque les Anglais arrivaient, le salon retrouvait un peu de vie. C’était un fumoir où Pépé distribuait ses meilleurs cigares, havanes énormes ou cigarillos pour les fumeurs moins entrainés.

 

Maman

 

Cette pièce a même été témoin des sévices corporels que ma tante distribuait avec un flegme et une impassibilité toute britannique à Francis en priorité, très rarement à Eva (sans doute pour éviter des jérémiades dont elle avait le secret) avant de regagner dignement la salle à manger.

 

Sa dernière mission fut d’abriter les cercueils de Mémé puis de Pépé avant leur inhumation.

 

A l’étage, sur la droite la chambre des grands-parents, avec tout le raffinement bourgeois de l’époque : épais double rideaux de velours et dessus de lit assorti, armoire massive bien cirée, suivie d’une salle de bain éclairée par un œil de bœuf. Cette fenêtre ronde me plaisait beaucoup, elle tranchait sur la rectitude de l’ensemble et j’ai dû compulser des centaines de photos pour la trouver (avec Paulette sur le seuil).

 

Paulette

 

 

La salle de bain était perfectionnée au fur et à mesure des inventions, une baignoire sur pied puis encastrée, un bidet, une machine à laver. La première machine dont je me souvienne, et qui sonna le glas des laveuses à domicile, lavait en tournant horizontalement et il fallait la vider pour rincer, elle n’essorait pas non plus mais disposait de deux rouleaux qu’on plaçait au-dessus du bac et entre lesquels on passait le linge une ou plusieurs fois pour en exprimer l’eau. Il fallait aussi râper les restes de savonnettes comme lessive, par souci d’économie ou parce que la lessive pour machine ne se trouvait pas encore dans le commerce, je l’ignore. Les suivantes furent plus perfectionnées mais au début Mémé les accusaient d’abimer le linge…

 

Face à l’escalier, un cabinet de toilette avec seulement un lavabo et à gauche deux chambres en enfilade. La première, la grande, était une chambre d’ami avec cheminée en marbre, armoire massive au pied d’un lit immense et très haut qui nécessitait une véritable escalade quand nous étions petits. L’été Francis y dormait ; elle devint la chambre de Mémé durant sa maladie.

Eva et moi nous partagions la petite chambre que j’adorais. Comparée à l’autre, c’était un petit cocon, une chambre de poupée meublée de bric et de broc, lit bas et armoire toute petite, éloignée des adultes et où nous pouvions rire et jacasser une partie de la nuit.

 

Au second à droite la chambre de l’employée de maison et à gauche une autre grande chambre prolongée par un cagibis transformé en capharnaüm mais caché par un épais rideau. En haut de l’escalier une petite pièce débarras qui empestait la naphtaline.

Je ne me rappelle pas qu’il y ait eu un grenier

 

la grille

 

 Le seul angle encore disponible dans la salle à manger était occupé par la chaise de Mémé où elle lisait à côté de la fenêtre son « petit feuilleton »

 

Mémé

 

 

 

Ses lectures étaient puisées dans « la Veillée des Chaumières » ou « le Petit Echo de la mode » et ressemblaient plutôt à la collection « Arlequin » qu’à de la littérature classique. Elle lisait aussi l’Eveil de Bernay, le journal local. De toute façon, son temps de lecture était très réduit, car après avoir déambulé en peignoir une heure ou deux, elle ne s’habillait que vers 11h30 et cette activité nécessitait l’intervention de la bonne pour le laçage du corset, un genre de cuirasse gainée de baleines qui enserrait le corps des hanches à la poitrine. Opération longue et délicate car du laçage ni trop serré ni trop lâche dépendait le bien-être de la journée. La bonne se montrait patiente, serrant ou desserrant, elle y jouait l’ambiance des prochaines heures.

Pépé arrivait vers 12h30, allumait la radio (ensuite ce fut la télé) et après un baiser sur le front de sa femme, s’installait à table. Son arrivée avait interrompu la lecture et « les nouvelles » diffusées par les médias,  les conversations ; un silence religieux régnait que seul Pépé pouvait rompre pour quelques commentaires péremptoires. Mémé profitait de la fin du repas pour se lamenter sur la hausse des prix, c’est alors que Pépé se souvenait d’un rendez-vous urgent pour fuir ce sujet périlleux et la maison !


01/02/2023
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La guerre "oubliée"

 

La guerre franco prussienne de 1870 n'a pas marqué notre histoire comme les deux suivantes : rares sont les communes qui possèdent un Monument aux Morts dédié à ces braves (ou même qui a inscrit leurs noms sur les nombreux Monuments érigés après la Grande Guerre). A cela, je pense, plusieurs raisons : au fur et à mesure de la retraite, plusieurs régiments se sont retrouvés au même endroit sans que cet amalgame soit planifié, bref c'était un peu la pagaille (c'est ce qu'on retrouve dans les mémoires d'un gradé ariègeois) ; de plus, les hommes ne portaient pas encore de plaques d'identification donc les morts étaient enterrés « inconnu » et les blessés graves ne pouvaient décliner leur identité aussi :

 

+ 1870 Hospice de Bernay 15 inconnu

 

Alors que graver sur un Monument si la Commune en érige un comme à Bernay ?

Là, le Monument se situe sur la route de Broglie où eurent lieu les combats mais une CPA ne permet pas de lire les inscriptions :

 

monumernt commémoratif Bernay

 

et le mémorial est peu connu même des Bernayens ! Comme le montre la carte postale, peu de monde à la commémoration : une dizaine de militaires et peut-être deux veuves ou mères

 

Encore une raison de « l'oubli » de ce conflit c'est qu'il se solda par une défaite, l'invasion d'une partie de la France, l'imposition de nombreuses et lourdes amendes (Bernay ne fut pas épargné!) et surtout la perte de L'Alsace Lorraine qui alimenta l'esprit « revenchard » de la grande guerre !

 

Il faut bien avouer que lorsqu'on trouve dans un quotidien ce genre de brèves, même si on l'a apprit à l'école, ça fait un choc :

 

Alsace Lorraine 5-3-1888

 

(La Dépêche du 5 Mars 1888)

 

Et pourtant les environs de Bernay et la ville elle même furent le théâtre de nombreux combats meurtriers dont on retrouve les traces dans les registres de décès , des actes communiqués par les différents hospices mais très souvent incomplets sur les noms, prénoms et ascendance des victimes Je vais essayer de vous communiquer ceux que j'ai retrouvé (sous forme de tableau) car ils concernent des conscrits de Loire Inférieure, Loire Atlantique, des Landes, du Calvados et bien sûr quelques Prussiens mais cela peut aider certains généalogistes. Mon recensement n'est sans doute pas exhaustif, dans le prochain article, vous aurez donc une carte des combats qui vous aidera à visualiser les villes et villages dans lesquels ont pu être soignés les blessés.

Si vous faîtes des découvertes, soyez gentils d'en faire profiter les autres !

 


21/01/2023
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Souvenirs de la Grande Guerre à Notre-Dame d'Epine

 

A partir de la plaque commémorative apposée sur le mur du cimetière, nous allons essayer d'en savoir plus sur les trois Poilus « morts pour la France » qui y sont inscrits :

 

plaque du souvenir ND

 

Sur le site « Mémoire des Hommes », nous allons retrouver leurs fiches mortuaires qui vont indiquer leur lieu de naissance et les circonstances de leur décès mais aussi leur bureau de recrutement militaire, leur régiment d'affectation et leur numéro matricule.

Premières remarques, ces trois hommes appartenaient au même régiment : le 224° RI et ils disparurent au cours de la même offensive, au tout début de la guerre, entre la Marne et l'Aisne. Les deux premiers seront fauchés les 14 et 15 Septembre à La Neuville , le troisième, le 24, à Berry au Bac. Le plus jeune avait 27 ans, les deux autres 31 ans.

La fiche nous indiquant leur bureau de recrutement, leur classe et leur numéro de matricule, nous pouvons, sur le site des Archives départementales de l'Eure, trouver leur extrait de registre matricule et ainsi compléter non seulement leur parcours militaire mais aussi leur état civil, leur apparence physique et leur degré d'instruction. Nous apprenons ainsi que Quesney et Vauquelin avaient été versés dans la réserve et dispensés l'un comme « fils aîné de veuve », l'autre comme « soutien de famille » ; ils furent pourtant mobilisés dès le 4 Août.

monument aux morts ND d\\\'Epine Quesney fiche

 

monument aux morts ND d\\\'Epine Vauquelin fiche

 

 

Aucun ne repose à Notre-Dame d'Epine ; Manchon a été « inhumé par les soins des autorités allemandes » et sa sépulture est inconnue

monument aux morts ND d\\\'Epine Manchon fiche

 

 

 ; pour Quesney, il n'est pas fait mention de son lieu de sépulture et il ne figure pas sur les listes du site « Sépultures de guerre » ; enfin Vauquelin est porté disparu et ne sera reconnu « mort pour la France » que par délibération du tribunal de Bernay en date du 20 Juillet 1920.

 

Tous trois sont domestiques et Manchon et Vauquelin résident à Notre-Dame d'Epine au moment de leur mobilisation.

 

Parallèlement aux destins individuels, on peut trouver d'autres renseignements à partir de leur régiment : le 224° RI. Le site « Mémoire des Hommes » a mis en ligne les journaux des Marches et Opérations (JMO) rédigés au jour le jour sur les batailles et engagements dans lesquelles chaque régiment se trouve impliqué :

JMO 1

 

Ces relations des événements si l'on s'abstrait du « style militaire » nous indiquent jour par jour et même heure par heure le déplacement des troupes et les combats qu'elles mènent. Malheureusement, ces journaux ne notent que les blessures ou les décès des officiers, pour les soldats, un chiffre suffit : 806 morts le 14 Septembre.

Par contre, les circonstances des affrontements sont très détaillés, le JMO du 224° souligne même que le régiment eût à souffrir plusieurs fois des tirs de l'artillerie lourde française ! En plus, bien sûr, des tirs ennemis.

 

On dit souvent que les Poilus étaient extrêmement fatigués lors de leur semaine de repos à l'arrière, en lisant les JMO, il est facile de comprendre la raison de leur épuisement ! Le 14 Septembre, après une journée entière de combat sans ravitaillement, le commandement déclenche « une attaque de nuit » à 3h du matin, s'en suit une nouvelle journée de combat ! Tout cela sans compter qu'au bivouac, il faut creuser des tranchées, ce qui prend une partie de la nuit, pour ressentir une sécurité même illusoire, d'autres doivent se rendre à la « popotte » pour chercher les vivres et les préparer.

En hiver s'ajouteront le froid, la neige ou la pluie et les chemins défoncés. J'avoue que, de nos jours, je me demande comment des êtres humains ont pu supporter de telles conditions de vie, physiquement et moralement !

 

Un site incontournable sur la Grande Guerre « Chtimiste,com » nous fournit une carte des combats qui se déroulèrent entre Marne et Aisne en Septembre 1914 :

 

carte du fronte Chtimiste

 

Elle permet de visualiser l'importante avancée des troupes entre le 7 et le 18 Septembre, opération qui impliqua aussi les troupes anglaises.

 

Après la mort de nos trois poilus, le 224° de Bernay prit part à de nombreuses et tristement célèbres batailles : l'Artois, la Somme et de nouveau dans l'Aisne.

 

batailles

 

 

Un autre régiment, en partie bernayen, le 24° RI, fut engagé dans la première bataille de la Marne et rejoignit le 224° à Berry au Bac.

 

Il est enfin possible de visualiser les lieux des combats en partant à la recherche de cartes postales anciennes sur le net ou en visitant virtuellement les musées consacrés à la Grande Guerre dans la région, le plus connu, la caverne du Dragon est situé sur le célèbre Chemin des Dames.

 

Reste à situer La Neuville ! Et ce n'est pas simple dans ces départements ( Marne et Aisne) qui ont connu bien des batailles de la Grande Guerre. Rien que dans la Marne existent La Neuville au Pont, La Neuville sur Orne, et la Neuville des Albris, toutes dévastées par la guerre mais aussi un hameau La Neuville les Cormicy, d'environ 50 habitants proche de Cormicy qui dispose d'un pont que les deux armées vont vouloir conquérir. Ce hameau disparu était proche de Berry au Bac et c'est celui qui me semble le plus vraisemblable pour être « la cote 100 ».


10/01/2023
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