Normandie : terre-de-nos-mères

Nous retrouvons François le 14 Septembre 1884, il présente alors sa candidature pour une place de facteur rural au bureau de Bourg-Achard dans l'Eure (le poste de M. Placial est vacant car il a demandé sa mise en disponibilité), son traitement annuel serait de 750 fr. Des renseignements ont été demandés au Cabinet du Préfet de l'Ariège, le 24 Juin 1884 la réponse donne « de très bon renseignements » et « je verrai avec plaisir qu'il vous fut possible d'accueillir favorablement cette demande » Et François deviendra « facteur rural »

Par la suite, il obtiendra un poste au Bureau de la Neuve-Lyre (23 Janvier 1885) avec un traitement de 850 fr puis à Bernay, le 9 Avril 1886, il deviendra « facteur de ville à 1000 fr annuel. Le Préfet de l'Eure aura auparavant demandé « des renseignements sur la moralité, sur les antécédents et particulièrement sur les opinions politiques du sieur Laffont »

La réponse indique : « habite la commune depuis 14 mois environ. Le sieur Lafond est sincèrement républicain. Les entretiens que j'ai pu avoir avec lui touchant son service confirment pleinement cette opinion. J'ajouterai que Lafond me fait l'effet d'un homme actif, intelligent, dévoué et honorable »

Voici donc son itinéraire professionnel :

Le 9 Avril 1886, il s'installe donc à Bernay. Après 8 ans comme facteur de ville, il demande un poste « d'entreposeur en gare » dans la même ville. De nouveau, les renseignements demandés au Conseiller Général par le Préfet sont élogieux : «  Le sieur Laffont est un excellent employé et un sincère Républicain, il me paraît donc mériter à tous égards la faveur qu'il sollicite » Mais, il ne semble pas l'avoir obtenue ! Sans doute parce que le poste qu'il souhaitait était soumis à la mutation dans le Midi de M. Cazals qui ne l'a pas obtenue.Il demande et obtient sa mise en disponibilité pour maladie le 28/12/1912.

Le 16 Juillet 1887, il épouse Marie Virginie Grandin, 24 ans, domiciliée à Cambernon.

Comment a-t-il pu rencontrer puis fréquenter sa future qui habite à plus de 200km de son domicile ? C'est là que la légende familiale intervient pour proposer une explication, à mon sens, fantaisiste : au retour d'Algérie en 1882, François aurait débarqué à Cherbourg et durant son périple vers l'Ariège (?) aurait rencontré Marie Virginie... Sauf que Cherbourg est à 90 km environ de Cambernon qui n 'est qu'un tout petit village et que François est mis en congé de l'armée au mois de Novembre, saison peu propice pour se faire employer aux travaux des champs... Le mystère de la rencontre reste encore entier...

Le couple s'établit à Bernay et aura 4 filles. Sur les deux premières existait une autre légende familiale selon laquelle François les aurait emmenées en Ariège pour les présenter à la famille et elles y seraient mortes d'une épidémie. Je recherchais leur décès, en vain, à Boussenac jusqu'à ce que mon cousin me fasse remarquer l'invraisemblance de cette histoire : un homme partant seul avec deux enfants en bas âge pour un interminable voyage en chemin de fer !

Je vérifiais donc à Bernay et trouvais les naissances d'Angelina, Anasthasie, Rosa le 30/9/1888 et de Marguerite, Marie, Geneviève, deux ans plus tard, le 12/3/1890. Les deux fillettes disparaîtront en 1890 à 18 jours d'intervalle (le 2 Juillet pour Angélina, le 20 pour Marguerite) Ces décès sont peut-être dus à la grippe « russe » qui fit des victimes en France en 1889 et 90 « sans arriver toutefois au stade épidémique » Si l'on relève le nombre de décès sur Bernay, on constate une légère hausse en 1890 en ce qui concerne les jeunes enfants et les personnes âgées mourant à l'Hospice.(250 environ par an de 1887 à 1889, 269 en 1890 puis le nombre redescend entre 240 et 250 les années suivantes). Les deux fillettes sont bien décédées en bas-age d'épidémie mais la légende avait déplacé l'épisode en Ariège, terre hostile et lointaine aux yeux des Normands !

Le 2 Mai 1891 naît Marguerite, Geneviève, enfant de « remplacement », ma grand-mère et le 10 Janvier 1898 Jeanne Marguerite.

Après sa retraite, François semble avoir ouvert un café au 14 rue des Fontaines à Bernay, à moins que ce ne soit son épouse.

Ils auront tous deux la joie de voir leurs deux filles se marier puis de connaître certains de leurs petits enfants.

Marie Virginie décédera le 6 Juillet 1930 et François la rejoignit six mois plus tard, le 19 Janvier 1931, ils sont inhumés au cimetière Sainte Croix de Bernay

D'après les rares témoignages recueillis sur François, il paraît avoir eu toute sa vie la nostalgie de ses montagnes (comme en témoignent encore les chansons qui se sont transmises sur 3 générations) Je ne sais pas s'il a eu l'occasion de revoir son Ariège natale en compagnie de son épouse mais il a gardé de nombreux contacts épistolaires avec ses beaux-frères, cousins et neveux et il était même fait appel à lui dans les problèmes de succession de ses deux sœurs (Lorette et Céline) sans descendance.

Alors, quand nous avons découvert le hameau des Eychards avec mon cousin, j'ai bu l'eau de la fontaine qui devait alimenter ce hameau depuis des siècles puis j'ai rempli une bouteille ; sur le moment, je n'avais aucune idée de sa destination. Quelques mois plus tard, je devais aller en Normandie, j'ai pris l'eau avec moi et je l'ai versée sur la tombe de François pour lui rappeler la source qui descend des cimes du Canigou.

« Là, devant moi, mon arrière grand-père est toujours vivant puisque je vois ce qu'il a vu, puisque je marche où il a marché » (12 p 26)

Je crois qu'avant de lire « Généalogie, une passion moderne » dans lequel M. Archassal raconte qu'il pose son poignet sur le registre au même endroit que son ancêtre, je n'aurais pas osé raconter avoir offert de l'eau de ses montagnes à François !

Un ouvrage à lire, savourer et une source d'inspiration bref un incontournable !