Normandie : terre-de-nos-mères

Normandie : terre-de-nos-mères

HISTOIRE


Madame Adeline

Madame Adeline

 

Dans mon enfance, nous allions chercher du lait avec une channe, directement à la ferme, chez Madame Adeline.

Il fallait monter la route de Pont Audemer (actuellement rue Louis Gillain) depuis le maison de ma grand-mère puis en haut tourner à droite. On arrivait au moment de la traite, à la main, bien sûr, nous sommes dans les années 1955. J'y allais avec Paulette, ma deuxième mère, c'était une bonne promenade pour moi, mais pour elle sans doute une obligation pénible par tous les temps. De la côte saint Michel, mes cousins Herquelle y allaient aussi, pour eux, c'était tout droit.

Dans mon souvenir, assez flou, nous arrivions dans l'étable et Madame Adeline nous remplissait la channe, après quelques échanges de nouvelles, nous repartions sans payer ! Ma grand-mère devait régler chaque semaine ou chaque mois. On me proposait souvent un bol de lait chaud, tout droit sorti du pis de la vache ; par politesse j'acceptais, je buvais une gorgée et je donnais le reste à Paulette car je n'aimais pas le lait. J'étais peut-être aussi intolérante au lait, puisqu'à ma naissance, le médecin me l'avait interdit et j'ai été nourrie de bananes écrasées avec du sucre et de soupe de légumes bien plus tôt que les autres nourrissons.

Mais la politesse normande veut qu'on ne refuse jamais ce qui vous est proposé lors d'une visite : café, calva ou cidre pour les adultes ; lait, sirop ou eau rougie (eau colorée d'un soupçon de vin). Demander un simple verre d'eau est d'une impolitesse rare, cette demande laisse supposer que vous considérez vos hôtes comme des gens pauvres...

 

Revenons à Madame Adeline déjà âgée à l'époque, ou le paraissant à mes yeux d'enfant, mais très active, volubile et chaleureuse. Une paysanne normande sans rien qui pût la signaler à son visiteur comme quelqu'un d'exceptionnel... Et pourtant, c'était une héroïne de la Seconde Guerre mondiale : elle avait caché, nourri et soigné des dizaines de soldats (parachutistes?) et d'aviateurs alliés, de toutes nationalités, dans son grenier et sa grange dans le foin et la paille.

Les Allemands sont venus plusieurs fois chez elle et sa fille m'a raconté (plus tard) qu'ils sont venus un jour où elle ne cachait pas moins de 15 soldats alliés (était-ce une dénonciation?), la moindre fouille de la ferme et elle était perdue ! Comment a-t-elle réussi à endormir les soupçons des occupants, je ne sais pas mais elle devait avoir un certain aplomb et un flegme tout britannique !

 

J'ai rencontré sa fille Marie Louise, bien des années plus tard durant les vacances. Je vivais alors en Nouvelle Calédonie et un des enfants de Marie Louise était aussi dans le Pacifique, je crois que cela m'a fourni le prétexte pour cette rencontre. A cette occasion, après les cartes postales de Polynésie, elle m'a montré les décorations que sa mère avait reçu : rien moins que la Victoria Cross et des décorations américaines et Nèo-Zélandaise (ou Australienne). De nombreux soldats qu'elle avait caché, avaient survécu et témoigné de sa bravoure ; sa fille avait encore des dizaines de lettre de remerciements ! Ce n'est tout de même pas banal d'aller chercher son lait chez une Résistante si décorée !!


26/03/2023
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La guerre "oubliée"

 

La guerre franco prussienne de 1870 n'a pas marqué notre histoire comme les deux suivantes : rares sont les communes qui possèdent un Monument aux Morts dédié à ces braves (ou même qui a inscrit leurs noms sur les nombreux Monuments érigés après la Grande Guerre). A cela, je pense, plusieurs raisons : au fur et à mesure de la retraite, plusieurs régiments se sont retrouvés au même endroit sans que cet amalgame soit planifié, bref c'était un peu la pagaille (c'est ce qu'on retrouve dans les mémoires d'un gradé ariègeois) ; de plus, les hommes ne portaient pas encore de plaques d'identification donc les morts étaient enterrés « inconnu » et les blessés graves ne pouvaient décliner leur identité aussi :

 

+ 1870 Hospice de Bernay 15 inconnu

 

Alors que graver sur un Monument si la Commune en érige un comme à Bernay ?

Là, le Monument se situe sur la route de Broglie où eurent lieu les combats mais une CPA ne permet pas de lire les inscriptions :

 

monumernt commémoratif Bernay

 

et le mémorial est peu connu même des Bernayens ! Comme le montre la carte postale, peu de monde à la commémoration : une dizaine de militaires et peut-être deux veuves ou mères

 

Encore une raison de « l'oubli » de ce conflit c'est qu'il se solda par une défaite, l'invasion d'une partie de la France, l'imposition de nombreuses et lourdes amendes (Bernay ne fut pas épargné!) et surtout la perte de L'Alsace Lorraine qui alimenta l'esprit « revenchard » de la grande guerre !

 

Il faut bien avouer que lorsqu'on trouve dans un quotidien ce genre de brèves, même si on l'a apprit à l'école, ça fait un choc :

 

Alsace Lorraine 5-3-1888

 

(La Dépêche du 5 Mars 1888)

 

Et pourtant les environs de Bernay et la ville elle même furent le théâtre de nombreux combats meurtriers dont on retrouve les traces dans les registres de décès , des actes communiqués par les différents hospices mais très souvent incomplets sur les noms, prénoms et ascendance des victimes Je vais essayer de vous communiquer ceux que j'ai retrouvé (sous forme de tableau) car ils concernent des conscrits de Loire Inférieure, Loire Atlantique, des Landes, du Calvados et bien sûr quelques Prussiens mais cela peut aider certains généalogistes. Mon recensement n'est sans doute pas exhaustif, dans le prochain article, vous aurez donc une carte des combats qui vous aidera à visualiser les villes et villages dans lesquels ont pu être soignés les blessés.

Si vous faîtes des découvertes, soyez gentils d'en faire profiter les autres !

 


21/01/2023
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Souvenirs de la Grande Guerre à Notre-Dame d'Epine

 

A partir de la plaque commémorative apposée sur le mur du cimetière, nous allons essayer d'en savoir plus sur les trois Poilus « morts pour la France » qui y sont inscrits :

 

plaque du souvenir ND

 

Sur le site « Mémoire des Hommes », nous allons retrouver leurs fiches mortuaires qui vont indiquer leur lieu de naissance et les circonstances de leur décès mais aussi leur bureau de recrutement militaire, leur régiment d'affectation et leur numéro matricule.

Premières remarques, ces trois hommes appartenaient au même régiment : le 224° RI et ils disparurent au cours de la même offensive, au tout début de la guerre, entre la Marne et l'Aisne. Les deux premiers seront fauchés les 14 et 15 Septembre à La Neuville , le troisième, le 24, à Berry au Bac. Le plus jeune avait 27 ans, les deux autres 31 ans.

La fiche nous indiquant leur bureau de recrutement, leur classe et leur numéro de matricule, nous pouvons, sur le site des Archives départementales de l'Eure, trouver leur extrait de registre matricule et ainsi compléter non seulement leur parcours militaire mais aussi leur état civil, leur apparence physique et leur degré d'instruction. Nous apprenons ainsi que Quesney et Vauquelin avaient été versés dans la réserve et dispensés l'un comme « fils aîné de veuve », l'autre comme « soutien de famille » ; ils furent pourtant mobilisés dès le 4 Août.

monument aux morts ND d\\\'Epine Quesney fiche

 

monument aux morts ND d\\\'Epine Vauquelin fiche

 

 

Aucun ne repose à Notre-Dame d'Epine ; Manchon a été « inhumé par les soins des autorités allemandes » et sa sépulture est inconnue

monument aux morts ND d\\\'Epine Manchon fiche

 

 

 ; pour Quesney, il n'est pas fait mention de son lieu de sépulture et il ne figure pas sur les listes du site « Sépultures de guerre » ; enfin Vauquelin est porté disparu et ne sera reconnu « mort pour la France » que par délibération du tribunal de Bernay en date du 20 Juillet 1920.

 

Tous trois sont domestiques et Manchon et Vauquelin résident à Notre-Dame d'Epine au moment de leur mobilisation.

 

Parallèlement aux destins individuels, on peut trouver d'autres renseignements à partir de leur régiment : le 224° RI. Le site « Mémoire des Hommes » a mis en ligne les journaux des Marches et Opérations (JMO) rédigés au jour le jour sur les batailles et engagements dans lesquelles chaque régiment se trouve impliqué :

JMO 1

 

Ces relations des événements si l'on s'abstrait du « style militaire » nous indiquent jour par jour et même heure par heure le déplacement des troupes et les combats qu'elles mènent. Malheureusement, ces journaux ne notent que les blessures ou les décès des officiers, pour les soldats, un chiffre suffit : 806 morts le 14 Septembre.

Par contre, les circonstances des affrontements sont très détaillés, le JMO du 224° souligne même que le régiment eût à souffrir plusieurs fois des tirs de l'artillerie lourde française ! En plus, bien sûr, des tirs ennemis.

 

On dit souvent que les Poilus étaient extrêmement fatigués lors de leur semaine de repos à l'arrière, en lisant les JMO, il est facile de comprendre la raison de leur épuisement ! Le 14 Septembre, après une journée entière de combat sans ravitaillement, le commandement déclenche « une attaque de nuit » à 3h du matin, s'en suit une nouvelle journée de combat ! Tout cela sans compter qu'au bivouac, il faut creuser des tranchées, ce qui prend une partie de la nuit, pour ressentir une sécurité même illusoire, d'autres doivent se rendre à la « popotte » pour chercher les vivres et les préparer.

En hiver s'ajouteront le froid, la neige ou la pluie et les chemins défoncés. J'avoue que, de nos jours, je me demande comment des êtres humains ont pu supporter de telles conditions de vie, physiquement et moralement !

 

Un site incontournable sur la Grande Guerre « Chtimiste,com » nous fournit une carte des combats qui se déroulèrent entre Marne et Aisne en Septembre 1914 :

 

carte du fronte Chtimiste

 

Elle permet de visualiser l'importante avancée des troupes entre le 7 et le 18 Septembre, opération qui impliqua aussi les troupes anglaises.

 

Après la mort de nos trois poilus, le 224° de Bernay prit part à de nombreuses et tristement célèbres batailles : l'Artois, la Somme et de nouveau dans l'Aisne.

 

batailles

 

 

Un autre régiment, en partie bernayen, le 24° RI, fut engagé dans la première bataille de la Marne et rejoignit le 224° à Berry au Bac.

 

Il est enfin possible de visualiser les lieux des combats en partant à la recherche de cartes postales anciennes sur le net ou en visitant virtuellement les musées consacrés à la Grande Guerre dans la région, le plus connu, la caverne du Dragon est situé sur le célèbre Chemin des Dames.

 

Reste à situer La Neuville ! Et ce n'est pas simple dans ces départements ( Marne et Aisne) qui ont connu bien des batailles de la Grande Guerre. Rien que dans la Marne existent La Neuville au Pont, La Neuville sur Orne, et la Neuville des Albris, toutes dévastées par la guerre mais aussi un hameau La Neuville les Cormicy, d'environ 50 habitants proche de Cormicy qui dispose d'un pont que les deux armées vont vouloir conquérir. Ce hameau disparu était proche de Berry au Bac et c'est celui qui me semble le plus vraisemblable pour être « la cote 100 ».


10/01/2023
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Le sire de Gouberville

 

C’était une de mes « vieilles connaissances » puisque j’avais fait un exposé sur son fameux Journal en licence d’histoire, c’était en 1977 et je pense que Madeleine Foisil n’avait pas encore publié son livre magistral, je m’attaquais donc aux 817 pages de l’abbé Tollemer et cotoyais ce cher Gilles de Gouberville pendant plusieurs semaines.

Lors de ma première expédition généalogique dans la Manche en Aout 2014, j’en profitais pour lui rendre visite au Mesnil au Val et voir s’il restait quelque chose de son manoir, de son cadre de vie.

 

la tour seul vestige

 

 

Voici les derniers vestiges du manoir qui fut détruit par un incendie en 1886.

En haut de la tour, on distingue les trous du colombier, symbole de noblesse puisque seuls les nobles avaient le droit de colombier et aussi la magnifique fenêtre du XVI° siècle. Impossible de visiter sans rendez-vous mais je restais un long moment profondément émue devant cette tour où avaient retenti les pas de ce « bon menasgier ». La belle église « trapue » du village n’est pas celle qu’il a fréquentée, elle ne date que du XVIII°.

Mais, comme à mon habitude, je photographiais aussi le Monument aux morts. J’eus la surprise d’y découvrir un patronyme connu : Picot. L’habitude chez les nobles était de prendre le nom de la terre et peu à peu le patronyme réel de la famille passait au second rang, or celui de Gilles était Picot !

Aussitôt, je sollicitai le trésor inépuisable de Gallica et téléchargeai l’intégralité de son Journal, il me semblait bien que le Sire ne s’était pas marié. Au moins pour les années couvertes par le manuscrit, on en a la certitude car son oncle ne lui prête pas les 30 livres qu’il demande pour convoler  Mais il a des frères, y aurait-il encore des descendants des Gouberville au Mesnil ?

 

Est-il possible qu’Albertine Picot figurant parmi les victimes civiles de la Libération de Juin 1944 soit une lointaine descendante du Sire ?

Je regrette beaucoup aussi de ne pas avoir visité le cimetière (une autre de mes manies, pourtant) pour voir s’il existait d’autres Picot mais j’avoue que je n’ai fait le rapprochement qu’en relisant le Journal.

 

DSCN6760

 

 

Voyons donc ce que nous savons de la famille du Sire de Gouberville à partir de ses écrits et du panneau qui figure devant les vestiges du manoir.

La famille Picot est très ancienne et Gilles doit le prouver en Novembre 1555. Il passe un jour entier et jusqu’à minuit pour trouver les papiers « faisant mention de la noblesse de mes prédécesseurs et trouve d’empuis l’an mil IIII° (1400) » (p 13) ce qui lui permettait de conserver les anciennes franchises alors que « ceux qui n’avoyent pas fourni leur noblesse… étoyent déclarés contribuables et condamnés à six années de leur revenu » Une sérieuse motivation pour plonger dans les archives familiales !

Cette famille s’avère être originaire de Russy (arrondissement de Bayeux), au partage qui suit le décès du grand-père de Gilles, son oncle hérite des propriétés du Bessin donc vers Russy et son père de celles du Cotentin dont Gouberville dont il prend le nom de seigneurie. Toujours dans le Journal, on apprend comment se compose la fratrie de Gilles : 4 garçons et 4 filles. Il est l’aîné, François le second, Guillaume décède à Paris avant 1555 et Loys ; pour les filles, seule Tassine est dénommée, les autres ne sont citées que du nom de leur époux : André Le Bigne, M de Saint-Nazer et enfin une autre que l’on ne connait que par sa fille « ma nièce de Cresnay ».

Puis vient une autre parentèle : Guillemette, fille naturelle de son père qui a trois frères Symonnet (ils apparaissent sans cesse dans le Journal et vivent au manoir), Noël et Jacques. Enfin Gilles parle de sa grand-mère Tassine d’Orglandes (maternelle ou paternelle ?)

 

La château reste dans la famille Du Parc jusqu’à la Révolution.

 

Pour Gilles de Gouberville, l’année commence le 25 Mars, jour de l’Annonciation puisque son Journal est rédigé avant l’ordonnance de Charles IX de 1564 qui ordonna « de commencer l’année au premier jour de Janvier » et ne fut définitivement adoptée qu’en 1567. (p11) Les mois de Janvier Février et jusqu’au 24 Mars doivent donc être compris comme faisant partie de l’année suivante dans le Journal.

 

journal Gilles de Gilles de Gouberville

 

 

Gouberville Gallica

 

sur Gallica

 

Si vous êtes originaires de la Manche (ou pas), intéressez-vous à ce personnage passionnant et lisez son journal un témoignage sur son quotidien, ses greffes d'arbres fruitiers, le coût de ses chandelles  mais surtout ses relations sociales.

Un livre incontournable pour connaître la Manche au XVI° siècle !!!

 

 

 


22/12/2022
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Fonctionnement du courrier

 

 

Déjà deux lettres égarées, que vont penser leurs enfants sur le front, blessés ou prisonniers ? Qu'ils sont oubliés !!! Alors on compte les lettres ou cartes manquant à l'appel et justement que sont devenus tous ces courriers non distribués ? Il y aurait une fantastique recherche à faire si l'on pouvait trouver où ils ont échoué ! On pourrait trouver des « tranches de vie » d'innombrables familles Est-ce la poste qui les a conservées ou le Ministère de la guerre ou encore les archives Allemandes pour celles concernant les prisonniers. Cela m'intrigue et dans ce cas, je cherche comme un pitbull , si vous avez des pistes à me suggérer, n'hésitez pas !

 

Pour preuve voici ce qu'écrit Pépé Albert :

 

F comme Fonctionnement du courrier 2

 

« Bien reçu ta lettre m'annonçant avoir reçu ma carte et non ma lettre, c'est singulier, c'est ta mère qui l'a mise à la poste à Brionne, celle déjà perdue avait été également mise à Brionne, tu dois bien penser que l'on ne t'oublie pas ; reçu une lettre de Lucien hier, très malheureux dans la boue et dans l'eau, il dit que sa capote pèse 50 livres, à quand la fin et la libération comme tu le dis. Marché moins bon mais passable, je crois que c'est fini on n'en trouve plus. Ci joint un billet de 5fr Je suis seul du pays je me suis joliment embêté ; 20cm de neige ce matin pour partir c'était pas amusant. Je t'embrasse bien fort. [en haut] tu peux essayer ton horoscope.»

 

F comme Fonctionnement du courrier 1

 

En bon Normand, Albert surveille le bon acheminement du courrier d'autant plus que parfois, il glisse un billet de 5 fr dans l'envoi !

 


20/11/2022
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